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France

Les SUD :
de nouvelles structures pour quoi faire ?

Christian (SUD PTT), Chantal (SUD Culture), Henri (SUD Rail),
Janos (SUD Education)*

* Débat enregistré le 21 mai 2005

Regards croisés de membres ou anciens membres de SUD sur leur expérience syndicale au sein de quatre SUD différents (PTT, Culture, Rail, éducation). Des constats divers d'où se dégage pourtant une même constatation : par choix ou pragmatisme, le souci de la consolidation tend à s'imposer, celui de la lutte collective à se diluer.

SUD : New Structures for What Purpose ?
Current and former members of SUD sum up their union experience in four SUD affiliates (post office, Ministry of Culture, Railroads, Education). From their differing assessments, a similar judgment nonetheless emerges. Whether by choice or for pragmatic reasons, the urge to consolidate has been gaining ground, while the impetus for collective struggle tends to get weaker.

Los sindicatos SUD : nuevas estructuras, ¿ para qué ?
He aquí unas miradas cruzadas de miembros o ex miembros de SUD sobre su experiencia sindical en el seno de cuatro diferentes sindicatos SUD (Correos y Telecomunicaciones, Cultura, Ferrocarriles, Enseñanza). Unos testimonios contrastados de los que se desprende sin embargo una conclusión similar : sea por elección sea por pragmatismo, la preocupación por la consolidación se va imponiendo poco a poco al interés por la lucha colectiva.

I SUD : nuove strutture per fare che cosa ?
Uno sguardo incrociato di militanti o ex militanti di SUD sulla loro esperienza sindacale dentro quattro SUD diversi (PTT, Cultura, Ferrovie, Istruzione). Constatazioni diverse da cui emerge tuttavia una stessa diagnosi: per scelta o per pragmatismo, la preoccupazione del consolidamento tende ad imporsi e quella della lotta collettiva a diluirsi.

Christian : J'ai été militant de SUD PTT depuis sa création et jusqu'en 2003. J'ai commencé à travailler aux PTT en 1972 comme préposé au transbordement. Au bout de deux mois j'ai connu une grève, dans le cadre de laquelle j'ai été amené à adhérer à la CGT et en même temps à la LCR. Je suis devenu membre du comité départemental de la CGT, mais quand ils ont appris que j'étais aussi militant trotskiste (c'était l'époque du Programme commun), ils m'ont écarté des réunions, des diff' de tracts, je n'ai donc pas pu avoir le minimum d'activité syndicale. Donc au bout d'un an et demi, avec ma cellule LCR d'Évreux, on a décidé qu'il valait mieux que j'adhère à la CFDT, où j'avais plus d'ouverture pour militer. Ce que j'ai fait. Et au bout de deux ans, en 1975, on m'a proposé de devenir secrétaire départemental CFDT. J'espérais travailler à diffuser des tracts, soutenir des grèves, etc., j'ai donc accepté une place de demi-permanent (je ne voulais pas être permanent pour rester auprès de mes collègues). Or je me suis retrouvé à rédiger des tracts, à brasser de l'information, à me rendre à la direction départementale, dans les bureaux de poste, à participer à toutes sortes de réunions syndicales et de commissions, mais pas à soutenir des grèves, car les grèves, malheureusement, il n'y en avait pas beaucoup. Mon activité était donc déjà bureaucratique, même si je ne me sentais pas bureaucrate (j'ai quand même réussi à constituer un groupe d'opposition dans le conseil départemental, par convergence des votes sur chaque débat important). Deux ans plus tard, j'ai renoncé à me représenter comme secrétaire et j'ai demandé à être muté à Paris. Je suis rentré au PLM, le plus grand des centres de tri (qui a compté jusqu'à 4 000 salariés et d'où est partie la grève de 1974). C'est là qu'étaient formés les militants staliniens CGT qui allaient ensuite prendre des responsabilités. Et là j'ai vu ce que c'était que les stals et la bureaucratie, et j'ai vu à l'œuvre les différents courants d'extrême gauche. Cette fois encore, je n'ai pas pu rester longtemps à la CGT car on m'a à nouveau repéré et tenu à l'écart, donc à nouveau j'ai adhéré à la CFDT.
En 1988, lorsque des camarades des centres de tri et des " camions jaunes " ont été expulsés par la direction CFDT après une grève dure (à laquelle je n'ai pu participer, étant alors en vacances), ils ont créé SUD PTT et, à mon retour, j'ai choisi d'y adhérer. Je savais que les militants LO de notre section avaient refusé d'y adhérer parce qu'ils avaient été mis devant le fait accompli par ceux de la LCR, mais ma réaction à ce moment-là a été de me dire solidaire des exclus. Pourtant j'ai insisté pour dire que c'était peut-être le moment d'engager un débat avec d'autres postiers, oppositionnels au sein de la CGT et de FO ou inorganisés, sur la démarche préconisée par tous les révolutionnaires mais jamais pratiquée, à savoir un syndicat unitaire. On m'a répondu : " On verra plus tard, pour l'instant on crée un outil. "
En fait, j'ai toujours gardé un esprit très critique sur le fonctionnement de SUD, ce qui m'a valu des déboires successifs, et finalement une exclusion. Cela s'est passé en plusieurs phases. D'abord lors du congrès fédéral de SUD PTT qui s'est tenu quelques mois après le grand mouvement de grève de 1995, où j'avais été très actif. J'y étais candidat à l'élection de la direction nationale, avec le soutien de la section du PLM et du syndicat TMT des centres de tri parisiens, mais une campagne de dénigrement a été organisée contre moi qui m'a empêché d'être élu : on m'a accusé d'avoir travaillé dans un centre de tri parallèle pendant le mouvement de grève !… (En fait j'ai su que certains militants LCR ne voulaient pas de moi à ce poste parce que j'étais à la fois " un électron libre " et " trop politique ". Et comme à ce poste " l'élection " est plutôt une cooptation…) Deuxième phase : en 2000, quand je suis arrivé au bureau de poste de Paris-Louvre et que j'ai critiqué régulièrement le fonctionnement bureaucratique de la section. Enfin, troisième phase : lors du mouvement de 2003, lorsque j'ai dénoncé l'absence de toute réunion de section pendant un mois de grève et qu'un militant m'a physiquement sorti des locaux, sans que personne ne réagisse. En fin de compte, ils m'ont rendu service, je n'ai pas eu besoin de démissionner…
Chantal : J'ai été membre de SUD Culture jusqu'à il y a deux ans. J'y suis arrivée un peu par hasard, comme beaucoup. J'étais vacataire au Centre Pompidou, où on avait monté un collectif de précaires pour l'amélioration de nos conditions de travail et de nos droits. En 1998, le Centre a fermé pour travaux et les 500 vacataires se sont retrouvés sans perspective de travail. Le collectif a alors envisagé d'organiser une grève, et a dû se tourner vers une intersyndicale CGT-CFDT pour le dépôt d'un préavis, mais celle-ci a refusé. Les seuls soutiens que nous avons eus sont venus de SUD Culture (qui alors n'avait pas de représentativité au plan national et ne pouvait appeler à la grève), de la CNT et de la Coordination des travailleurs précaires qui venait de se créer. à travers la " bourse pour l'emploi ", dont nous avions réclamé la mise en place au ministère, je me suis retrouvée à la BNF, avec encore moins d'heures de travail qu'au Centre. Là, quand a démarré la grande grève de 1998, j'ai appelé les copains de SUD Culture, qui nous ont apporté un soutien inconditionnel. C'est comme ça que ça a commencé.
L'aventure s'est achevée en septembre 2003, date à laquelle j'ai rendu sans regrets, et sans claquer la porte, ma carte et mes mandats.
Henri : J'ai adhéré à SUD Rail au moment de sa création sur Paris-SUD Est en janvier 1996, et j'y suis encore. Je suis à la SNCF depuis 1978 (avec un intervalle entre 1980 et 1982 où je me suis trouvé insoumis au service national puis objecteur de conscience). Au départ, j'étais membre de la CFDT Cheminots, car en Alsace, où je me trouvais, certains de ses militants étaient alors très impliqués dans des initiatives antinucléaires, dans Radio Verte, etc. Je me suis ensuite transféré dans la région de Reims, et j'ai fini par quitter la CFDT suite au mouvement des coordinations, car ses militants non seulement n'animaient pas la grève mais s'étaient déclarés favorables à des sanctions contre ceux qui s'y étaient engagés, et notamment dans la coordination inter-catégories. J'ai ensuite attendu dix ans pour me resyndiquer. En 1995, j'ai participé au mouvement contre la réforme Juppé sur Melun, où j'ai pris part à plus d'actions communes avec la CGT qu'avec la CFDT. Mais j'ai quand même choisi d'adhérer à SUD Rail qui se constituait, à cause du poids de la bureaucratie dans la CGT. Depuis j'ai eu plusieurs mandats : délégué du personnel (seize heures de délégation par mois) pendant cinq ans, membre du CHSCT (dix-sept heures) pendant trois ans.
Le bilan que je tire de mes dix ans de non-syndicalisation (entre 1986 et 1996) n'est pas très positif, au niveau de la lutte d'entreprise. À la SNCF, la syndicalisation reste importante (environ 20 %), et quand on est non syndiqué, même si on participe comme moi à toutes les grèves, on est complètement inefficace.
Le point fort de SUD Rail, à mes yeux, c'est la démocratie et la transparence de l'information. Au moins pour le moment. C'est ça qui m'y a fait adhérer, même si je ne me fais pas d'illusions sur l'outil syndical, que je considère comme un outil parmi d'autres. Et depuis, j'ai toujours pu m'y exprimer comme je voulais. Si on utilise les outils syndicaux non pas pour faire de la réunionite avec les patrons mais pour faire des tournées, faire circuler l'information, faire remonter la réalité de la boîte et finalement préparer l'organisation de la grève (car une grève, ça se prépare), on peut, grâce au temps syndical dont on dispose, tout faire pour se mettre en situation de lutte. Alors qu'en tant que non syndiqué, on est condamné à attendre que ça se mette en place.
Chantal : Je n'ai pas la même approche. C'est vrai que je n'ai pas d'expérience syndicale antérieure à SUD, que c'est le syndicalisme qui m'a appris que dans les combats collectifs on est plus forts. Mais pour moi, la forme la plus forte de la lutte, l'engagement central, c'est la grève, et c'est bien évident que, sans les salariés en grève, les syndicats ne font pas grand-chose.
De plus, maintenant que je vis une expérience de non syndiquée après une expérience de syndicaliste (j'avais alors des mandats), je me rends compte que, bien qu'il soit beaucoup plus difficile de lutter quand on est simple salarié qu'au sein d'un syndicat, je peux m'autoriser à faire des choses que je ne pouvais pas dire et faire dans le cadre du syndicat. Le sentiment de responsabilité que l'on a quand on a un mandat syndical peut être paralysant. Au cours de certaines grèves, il est arrivé que je me dise : je suis responsable syndicale, il y a un certain nombre de choses que je ne peux pas dire par rapport à des syndicats qui ne sont pas d'accord avec nous mais qui sont là quand même. Car à SUD Culture, on a toujours travaillé en intersyndicale, ce qui veut dire faire avec des syndicats institutionnels, les entraîner, quitte, à un moment donné, à les lâcher plutôt qu'être lâchés. Autrement dit, je n'avais pas une parole libre en assemblée générale, j'étais tout occupée à faire de la diplomatie, en quelque sorte : flatter les uns, réconforter les autres… Aujourd'hui je suis libre de parole dans les AG, ce qui ne veut pas dire que je dis tout et n'importe quoi (si je considère qu'on a besoin d'une intersyndicale, je fais attention à ce que ça ne se casse pas la gueule), mais je peux dire un certain nombre de choses sans qu'on me rétorque qu'étant mandatée syndicalement, il y a des attitudes à tenir, des accords pris en intersyndicale à respecter… Et j'ai découvert depuis que la parole du simple salarié est précieuse et a un prix. Je ne croyais pas, en me désyndiquant, que je serais exposée comme je le suis aujourd'hui vis-à-vis de la direction, voire du ministère, ce qui me fait dire que cette liberté de parole que j'ai gagnée en quittant le syndicat sert à quelque chose.
Janos : Je suis membre de SUD Éducation depuis sa création en 1996. Au départ j'étais militant syndical à la FEN, puis au moment de la scission de 1992, j'ai participé en tant que délégué à la fondation de la FSU. J'avais déjà des problèmes avec la bureaucratie, et cela d'autant plus que je travaillais à Gennevilliers, foyer de la bureaucratie nationale du SNUIPP (syndicat membre de la FSU). En 1995, on a organisé un très fort mouvement sur Gennevilliers et alentour, avec formation d'un comité de grève, qui est intervenu dans les écoles et les grandes usines du coin et qui a obligé les syndicats à se mettre au service de la grève. à la fin de ce mouvement, on était nombreux à être très déçus pas le comportement de la FSU, et, après une période de gambergement, des contacts ont été pris pour créer un nouveau syndicat enseignant avec des membres du SGEN Paris qui venaient d'être expulsés de la CFDT, accusés, entre autres, d'avoir agressé Nicole Notat. J'ai donc participé à la création de SUD Éducation, et notamment de la section des Hauts-de-Seine. à Paris, la majorité provenait du SGEN-CFDT, alors que dans le 92, SUD Éducation a été formé par des militants non syndiqués ou venant de la FSU. Je l'ai fait en espérant créer un outil syndical qui prolonge le travail qu'on avait fait pendant la grève, qui favorise l'auto-organisation, qui permette de garder la mémoire des luttes entre les mouvements.

Un syndicat pour la lutte ?
Christian : Les quelques grandes grèves que j'ai connues, celle de 1974 notamment, ont été une école pour la démocratie syndicale et pour la lutte ouvrière, et je précise qu'alors LO et la LCR se réclamaient du comité de grève (ils ont même fait de la propagande en sa faveur quand il a existé en 1974) ; mais aux moments décisifs, quand il a fallu créer des comités de grève ou prendre des initiatives, ce n'est pas eux qui l'ont fait. En 1986, ce sont des roulants CGT, dont certains étaient membres en rupture de la LCR, et des " sédentaires " membres de LO qui ont pris l'initiative. à ce moment-là, la direction CGT s'est opposée à la grève et à sa généralisation. C'est une des raisons qui expliquent pourquoi beaucoup ont quitté la CGT et sans doute rejoint SUD à la grève de 1995. Mais en 1995 il n'y avait pas de comité de grève, il y avait des coordinations locales. D'ailleurs, avant même que la bataille démarre, lors d'une réunion avec les oppositionnels de la SNCF qui avaient créé les coordinations en 1986, on s'était demandé s'il fallait constituer des comités de grève ou évoluer vers des coordinations. Moi-même je m'étais dit : si je prends l'initiative d'un comité de grève, ça va verrouiller tout de suite. Donc on a été amenés à faire ce que Chantal a décrit. Pour pas casser la baraque, on se dit : faisons une intersyndicale. Mais après on est verrouillés... Pour " ne pas décourager " les militants, on choisit l'unité syndicale, mais ce n'est qu'une unité d'appareils, bureaucratique, sans démocratie, où l'on fait de l'interprofessionnel pour la façade, où tout est contrôlé par les appareils - quant à l'information concernant l'organisation de la grève, on sait ce que ça a donné... En 1995 et en 2003, même scénario. C'est comme ça qu'en 2003 j'ai été viré, après différentes tactiques de mise à l'écart.
À la création de SUD PTT en 1988, l'idée était de faire un syndicat sur le modèle des coordinations de la SNCF. Mais elles ont été vite oubliées, les coordinations… Maintenant on n'en parle presque plus. (Le seul syndicat qui s'en est réclamé, c'est le CRC.) Dans la brochure qu'ils ont sortie pour fêter les dix ans de SUD PTT, ils en parlent à peine, et pas pour évoquer les luttes à venir. Jamais ils n'ont proposé de réseau pour les coordinations, jamais ils n'ont proposé de comités de grève, ni en 1995 ni en 2003. En 2003, alors que j'espérais qu'on puisse relancer des coordinations (j'étais alors à la grande poste du Louvre à Paris, où se retrouvaient pas mal d'anciens des centres de tri), la section syndicale n'a même pas eu une réunion pendant trois semaines ; par contre, ça manœuvrait de tous les côtés, les militants de LO qui faisaient leur interpro avec leurs petits copains, les militants d'autres organisations politiques moins fortes qui faisaient la leur avec d'autres, et jamais de démocratie. Sauf à appeler " démocratie " le simple fait de voter pour décider de la grève le lendemain afin d'être plus nombreux à la manif - en évitant systématiquement de critiquer les stratégies des grandes centrales syndicales bureaucratiques.
Pour moi, la démocratie ouvrière, ça consiste à décider comment on s'organise du début jusqu'à la fin, comment on négocie et qui va négocier, comment va s'arrêter la grève. Comment s'est arrêtée la grève en 1995 ? Thibault et ses petits copains en ont décidé dans leur coin. Et qui en a tiré le bilan ? Personne, aucun syndicat. Et même pas SUD. Lors de la rencontre de bilan organisée avec Bourdieu, où chaque syndicat a exposé sa vision de la grève, quand Mouriaux a présenté le mouvement 1986 comme " corporatiste ", j'ai pris la parole pour dire : vous avez du culot d'en parler comme ça, c'était une grève contre la bureaucratie, contre les appareils syndicaux. Et qu'a dit Annick Coupé ? Rien du tout ! " Démocratie syndicale " ? Diplomatie syndicale, tu veux dire ! On capitule devant les appareils syndicaux et politiques, et on ne pose pas les problèmes sociaux et politiques.
Janos : Pour un certain nombre de gens, notamment ceux qui ont fondé SUD Éducation dans les Hauts-de-Seine, l'espoir était que SUD reflète sur le terrain syndical l'expérience de lutte auto-organisée que l'on avait menée ensemble. Mais on s'est vite aperçus que tout le monde n'était pas sur la même longueur d'ondes, et même qu'il y avait une certaine résistance à aborder ces questions, notamment chez les ex-oppositionnels de la CFDT, même si c'étaient des combattants courageux - " On n'est pas un syndicat de sans-papiers ", disaient-ils au moment de la lutte de Saint-Bernard. Au bout d'un an, à notre premier congrès (Lyon, 1998), malgré les efforts de la section des Hauts-de-Seine qui voulait que soient explicitées les raisons de créer un nouveau syndicat plutôt que faire de l'opposition dans ceux qui existent déjà, aucun texte de fondation n'a été présenté. Aujourd'hui encore, il n'existe aucun texte de SUD Éducation qui réponde à cette question. On a présenté un texte au congrès de Roubaix, en décembre 2000, mais il n'y a pas eu de débat. Et il n'y en a pas eu dans les dix ans de vie de SUD Éducation.
Dès le début, au congrès de Lyon, on s'est retrouvé confrontés à une tendance qui disait en substance : on veut jouer dans la cour des grands. On a essayé de leur montrer les dangers de cette position, mais sans succès. Dès le départ il y avait donc deux tendances : l'une qui concevait le syndicat à l'image de la Commune de Paris, dans son fonctionnement et dans ses objectifs, et l'autre qui la combattait, avec le soutien des syndicalistes révolutionnaires du CSR (drôle d'alliance !). Quand on a présenté une motion demandant que soit reconnu le principe de l'assemblée générale souveraine, à laquelle la direction du syndicat devait donc se soumettre, le syndicat parisien a menacé de quitter la fédération. Le débat a donc été posé dès le début dans SUD, et notamment dans SUD Éducation, où il est allé plus loin, mais il n'a jamais été tranché. Et le dernier congrès de Solidaires a esquivé le débat. Ce refus de se définir comme un syndicat au service des luttes, dont le but est l'auto-organisation, fait que je me demande si le projet SUD est encore valable. Il s'est créé un petit appareil, parfois hargneux, qui cherche à jouer dans la cour des grands, à être reconnu comme les " grands " syndicats, même s'il faut pour cela éviter l'affrontement avec les appareils syndicaux. Du coup, l'idée de rénovation sociale qu'il y avait au départ s'est perdue en chemin. On s'est raconté qu'il suffisait d'être radicaux, combattants, et l'on a refusé de répondre aux questions que nous posent la société et le capitalisme d'aujourd'hui. Voilà le résultat…
Henri : Moi, je ne suis pas un déçu des SUD car je ne me suis jamais fait d'illusions, je ne les ai jamais considérés comme un syndicat alternatif. C'est vrai qu'ils se sont présentés comme un syndicat nouveau, mais cela relève surtout de la communication. à la SNCF, j'avais connu un certain nombre de ceux qui ont ensuite fondé SUD Rail qui avaient passé dix ans et plus dans le combat interne à la CFDT et s'y étaient cassé les dents, j'en avais connu aussi qui s'étaient opposés aux coordinations, voire qui avaient sanctionné des militants pour y avoir pris part. Mais j'y ai adhéré quand même en me disant que le fait de quitter la CFDT les obligeait à créer un nouveau cadre qui allait permettre à un certain nombre d'individus de s'investir à nouveau dans le combat syndical, combat que je considère toujours important de mener. Et à mes yeux, au bout de dix ans, il y a quelques acquis. SUD continue à s'opposer à la politique de la SNCF. Il y a d'ailleurs des indices qui montrent que la direction craint le potentiel qu'il représente : quand elle sanctionne, c'est très souvent des militants SUD qu'elle vise ; il lui arrive aussi d'interdire la distribution de certains tracts de SUD.
Mais c'est vrai que le besoin de reconnaissance institutionnelle (et pas seulement syndicale) devient de plus en plus évident. Les actions dures du début, comme retarder des départs de trains pour empêcher des expulsions, c'est fini, j'ai l'impression. Et en période électorale comme aujourd'hui, on ne les voit pas sur le terrain, mais dans tous les meetings ils essaient de se montrer - aux côtés du PS et du PC…
Ce qui les fait apparaître comme radicaux, c'est peut-être le fait d'être restés des syndicalistes " à l'ancienne ", comme il y a vingt ans : alors que le monde syndical évolue vers la droite, que tous les autres désormais font du syndicalisme d'accompagnement, eux restent sur une position de défense des acquis sociaux. D'ailleurs, cette différence est visible sur le terrain : ils consacrent plus de temps à faire des tournées et moins de temps à faire de la réunionite avec les patrons. Il y a une grève qui se prépare pour le 2 juin, et les SUD poussent vraiment à ce qu'il y ait une grève reconductible.
Ce qui fait débat, c'est la question de l'unité. C'est vrai que pour SUD, l'unité, c'est l'unité des appareils, pas des travailleurs. Et la grande majorité des SUD sont contre la participation des comités de grève aux négociations.
Chantal : Sur ce plan, mon expérience est assez différente. Lors de la dernière grève des vacataires de décembre 2004, sous l'impulsion de SUD et de la CNT, l'intersyndicale de la BNF a continué à afficher la volonté de faire place à un comité de grève, avec des représentants des grévistes participant aux négociations. Et la question de l'unité s'est aussi posée en d'autres termes : comme la majorité des salariés, les vacataires grévistes étaient tout à fait conscients des querelles de chapelles syndicales et des enjeux de pouvoir qu'il y a derrière, et, alors que beaucoup n'avaient aucune expérience de la grève, ils n'ont pas mis plus de deux jours à comprendre le danger qu'elles représentaient pour l'issue de la grève. Bien que saisissant tout à fait les limites du soutien de la CGT et de la CFDT, ils considéraient qu'il fallait les embarquer dans la grève, quitte plus tard à être lâchés ou à les lâcher. Et si l'unité syndicale s'est brisée, c'est du fait des syndicats les plus radicaux - FSU, SUD, CNT. Du coup, rien n'a été obtenu, de ce point de vue-là la grève a été un échec. Pourquoi ? En apparence, tout était réglo sur le plan de la démocratie, mais, à y regarder d'un peu plus près, on s'apercevait que le comité de grève, qui dans le principe était ouvert à tous, s'était rapidement déconnecté des assemblées générales - pas par volonté de faire les choses dans son coin, mais pour des raisons banales " d'efficacité ". Et puis le leader de la FSU, sans avoir l'air d'y toucher, a amené certains grévistes qui contestaient le mode de fonctionnement du comité à partir. Une seule, au caractère bien trempé, a osé motiver sa décision par écrit. Quelques-uns ont essayé de la convaincre de rester ; la CNT est également intervenue par courrier adressé à l'intersyndicale et au comité pour rappeler que les AG restaient souveraines et que les désaccords du comité de grève devaient leur être rapportés, mais c'était trop tard, la grève commençait à se déliter, pour le plus grand profit de la direction.
Concernant l'évolution de SUD Culture : Il y a eu au départ une longue période d'élaboration des statuts, où l'on a alors consacré la souveraineté de l'assemblée générale plénière. Mais, fin 2002, ces statuts ont été remaniés : le bureau national est maintenant déconnecté de l'ensemble des militants, ce sont ses membres, supposés représenter les adhérents, qui votent. Dans l'assemblée générale qui a consacré ce remaniement, j'ai fait une intervention pour m'y opposer et je n'ai été soutenue que par une seule personne - qui d'ailleurs, en désespoir de cause, sans doute, a décidé de ne plus s'investir que dans Solidaires… C'est à ce moment-là que j'ai perçu à quel point SUD Culture était désormais dans une logique d'institutionnalisation. Sur le plan national, ils ont désormais une position tellement institutionnelle que j'ai du mal à faire la différence entre eux et la CGT Culture - même s'ils se querellent, parce que SUD Culture souhaite obtenir une reconnaissance le plus rapidement possible.
Paradoxalement, ils continuent à avoir un affichage très fort au niveau des luttes citoyennes : dans toutes les manifs, il y a quelqu'un (toujours le même) pour porter le drapeau de SUD, et en général SUD Culture fait un tract, qu'ils mettent ensuite sur leur site. Mais pendant qu'ils s'occupent de ce qui se passe à l'extérieur, ils laissent en friche tout ce qui se passe dans les établissements culturels.
Christian : Je me souviens d'un congrès, préparé de façon démocratique, où notre section des centres de tri de l'Ile-de-France avait présenté plusieurs amendements, dont un sur l'abolition du salariat. Un des responsables s'y était opposé en argumentant ainsi : " Le patronat et Pol Pot sont eux aussi pour l'abolition du salariat. " Et pas un des militants révolutionnaires présents n'avait moufté…
Sur la question de l'auto-organisation et de la grève générale : en 1968, 1995 et 2003, trois moments où un processus vers la grève générale était en cours, on a bien vu comment se sont comportés à la fois les appareils politiques et les appareils syndicaux. Il y avait connexion, pour dire le moins, entre les uns et les autres : entre la CGT et le PC, entre la CFDT et le PS, entre FO et… (il y a de tout là- dedans). Et SUD ne fait pas exception, puisque le noyau dur, pensant et organisateur est constitué de militants LCR et de certains libertaires. Or ni en 1995 ni en 2003 ces camarades ne se sont constitués en organisations alternatives indépendantes des appareils, ils ont été le flanc gauche des appareils syndicaux, qui étaient eux-mêmes le flanc gauche des appareils politiques. Et chaque fois ils nous ont renvoyés sur les élections.
La question des comités de grève est à mes yeux fondamentale. Comme je constate que dans aucune organisation syndicale on ne peut développer de façon radicale et continue ne serait-ce qu'une progagande pour les comités de grève et une pratique d'autonomie ouvrière, j'estime que les syndicats sont devenus de fait, avec les militants quels qu'ils soient, des flancs gauches de l'État et des appareils politiques. C'est pourquoi je considère à présent que c'est une erreur de militer dans les syndicats, sinon pour constituer des réseaux contre les appareils syndicaux.

Priorité à l'interprofessionnel ou à la lutte catégorielle ?
à l'enracinement ou à la visibilité ?

Henri : Les pratiques interprofessionnelles de SUD Rail, c'est très insatisfaisant, mais, comparé aux autres syndicats, c'est énorme. Chez SUD il y a une volonté, limitée mais réelle, d'aller dans ce sens, puisqu'il y a des militants syndicaux qui sont dégagés pour intervenir sur les filiales et les sous-traitants, mais ils sont si peu nombreux que ça paraît marginal. Et le fait est que SUD a tendance à masquer sa faiblesse réelle sur ce terrain par des effets d'affichage. Mais reconnaissons que la principale limite, c'est qu'à la base les cheminots n'en ont rien à battre, de l'interprofessionnel…
Chantal : À la BNF, où il y a beaucoup de prestataires de services, le climat est différent sur ce plan (la culture des salariés est différente sans doute, mais la proximité physique des agents non BNF y est peut-être pour quelque chose aussi). Même s'il n'y a pas d'intepro constituée en tant que telle, quand il y a des grèves dans les boîtes prestataires de services, le principe de la solidarité fonctionne, mais à la base - j'ai vécu des grèves de solidarité avec les agents de la sécurité et avec le personnel de ménage, auxquelles avaient appelé les sections FSU, SUD et CNT, voire une fois CFDT. SUD Culture, en revanche, ne nous a jamais apporté de soutien.
Christian : La fédération SUD PTT apporte un soutien technique, matériel, réel aux luttes des sans-papiers, des femmes, des sans-logis. Quand il y a eu l'intervention contre l'occupation de l'église Saint-Bernard, elle a eu à l'époque un très beau geste : elle leur a ouvert ses locaux et les a accueillis pendant plusieurs jours. Pendant la grève des McDo, la section de la poste du Louvre a contribué au soutien. C'est vrai que, même si à la base le principe de l'interpro est accepté et compris, les adhérents ne s'impliquent pas toujours de façon très active. ça reste donc limité, c'est plus symbolique, exemplaire, que pratique, et en ce sens ça fait effectivement partie d'une stratégie de visibilité. À la limite, plus on régresse au niveau des luttes dans les PTT, plus certains militants en vue, comme Aguiton, s'investissent ailleurs, où c'est médiatisé (Attac, mouvements altermondialistes, etc.). C'est pas un reproche, c'est un constat.
Janos : À l'origine de tous ces maux, il y a le refus de définir clairement ce qu'on veut, et notamment comment on se positionne face à l'État. Cette absence de clarification a des conséquences sur plusieurs questions un peu chaudes. Avec les copains de SUD Rail, qui hébergent gentiment SUD Éducation 92, nous avons eu plusieurs fois des discussions sur le rôle des contrôleurs dans les transports en commun, et on a tenté de les impliquer dans le RATP, le réseau pour l'abolition des transports payants. Mais, à les croire, ce n'est pas la cherté du transport, conjuguée à la ghettoïsation, qui explique la majorité des violences et des dégradations. Au nom de la défense des agents, ils ont même justifié l'installation de barrières, de grillages autour des gares. Et lors d'un débat récent organisé avec des copains qui luttent contre la vidéosurveillance et avec plusieurs autres SUD, ils nous ont appris qu'ils syndiquent les SUGE (la milice privée de la SNCF, qui est armée), autrement dit des mecs qui font un boulot de flics sous l'uniforme SNCF ! Pour ne pas perdre de syndiqués, ils renoncent à mener une lutte de fond pour la gratuité des transports publics, qui pourtant serait la meilleure manière d'éviter que les cheminots passent pour des flics auprès des jeunes de banlieue.
Chantal : L'impression que j'ai, c'est que SUD a les yeux plus gros que le ventre. On veut pouvoir jouer dans la cour des grands, mais on est tout petits. À ce que je vois, ce que représente SUD aujourd'hui pour ceux qui lui sont extérieurs, c'est des petits drapeaux égarés dans des manifestations. La position que j'avais défendue en vain au moment de la modification des statuts, c'était : continuons à nous construire tranquillement, n'essayons pas de nous étendre à d'autres domaines, car on n'est pas suffisamment solides. Les SUD veulent être partout, du coup ils ne sont nulle part. L'image qu'ils donnent d'eux-mêmes est peu en rapport avec la position qu'ils occupent sur le terrain des luttes.
SUD Culture est engagé dans des luttes citoyennes - certes, ça lui coûte quelques sous, mais comme ils sont désormais financés par le ministère de la Culture (ils ont de superbes bureaux), ils peuvent le faire sans trop de difficulté. Mais ça relève du simple effet d'affichage, ça n'a aucune connexion avec les luttes internes. Le temps où nous occupions les musées, où nous imposions des journées de gratuité, où il était possible d'envahir le ministère ou de faire intrusion dans les négociations nationales semble à jamais révolu… Et c'est même pire que ça : sur les vrais problèmes que rencontrent les salariés dans les établissements, ils n'ouvrent plus la bouche.
Au départ, SUD s'était quand même doté d'un outil qui était bien fait pour l'interprofessionnalité, à savoir le groupe des Dix. Or aujourd'hui il y a une personne par syndicat SUD qui fait le lien avec le groupe des Dix : il y a de quoi se poser des questions, car, indépendamment des questions idéologiques, je ne vois pas comment ça peut fonctionner, une personne qui représente la totalité d'un syndicat dans une structure interprofessionnelle. Ça montre bien qu'il y a déconnexion totale entre le sommet et la base.
Un syndicat pour un changement de société ?
Janos : Quand j'ai participé à la création de SUD Éducation, c'était dans l'idée de créer un syndicat qui soit la continuation de ce qu'on avait fait pendant la grève de 1995, les coordinations, les comités de grève, en un mot, nos tentatives d'auto-organisation ; un syndicat qui ait un projet de société. Et je n'étais pas le seul. Bien sûr, on était tous dans la confusion, après la chute du mur de Berlin. Mais dans SUD Éducation, l'idée d'un changement de société avait été affirmée dès le départ. D'ailleurs notre slogan c'était non pas " Une école pour une autre société ", comme le prônaient les pédagogistes, mais " Une autre société pour une autre école ". Les difficultés sont arrivées ensuite, quand il a fallu se demander ce que ça signifiait concrètement.
Christian : Il faut savoir qu'à l'origine de chaque création d'un syndicat SUD, il y avait des militants d'extrême gauche, donc qui véhiculaient l'idée d'un changement de société. Mais les adhérents qu'ils ont gagnés, ce ne sont pas des révolutionnaires, mais des gens comme tout le monde, qui subissent l'idéologie dominante. Sans compter que, sur le plan politique général, les choses régressent partout, donc les horizons se referment et l'état d'esprit n'est plus le même. Je ne suis même pas sûr que les premiers militants aient conservé leurs convictions d'origine.
Chantal : Moi, c'est SUD et les luttes de terrain qui m'ont aidée à évoluer, c'est donc bien qu'il y a eu un infléchissement général de l'orientation de SUD. D'ailleurs je ne trouve pas qu'on grossisse à SUD.
Christian : Au moment où se profilait la privatisation de France Telecom, les copains de SUD disaient : on se prépare à une bataille qui sera dure. Et ils avaient le rapport de forces pour le faire, car ils étaient très forts en Ile-de-France, quasiment aussi forts que la CGT. Et qu'est-ce qu'on a vu ? Trois ou quatre jours de grève reconductible, et puis, après quelques sanctions prises contre des camarades qui avaient occupé des lieux stratégiques, plus rien. C'est un échec sur lequel il faut réfléchir, car aux Telecom ils étaient en position de développer une pratique radicale. Or ils ont considéré qu'ils ne pouvaient pas aller au-delà, d'autant que la CGT ne voulait pas que ça aille trop loin : là aussi, on voit bien quel rôle joue l'unité syndicale. Après ça, les dirigeants de SUD PTT comme Aguiton sont allés s'investir dans d'autres batailles, ailleurs… Constatant que sur des grèves nationales dures on allait vers des échecs et que les grèves locales étaient difficiles à gérer, ils sont allés s'occuper d'autre chose. Dans les luttes citoyennes - où ils ont fait un très bon travail, sans doute…
Janos : La question qui se pose désormais c'est : est-ce que l'outil syndical a encore une validité ? Les luttes prestigieuses, celles qui ont fait bouger les choses, n'ont pas été menées par des syndicats. Nous, les profs, on a fait six semaines de grève en 2003, mais les syndicats n'étaient pas là. SUD a un peu aidé bien sûr, mais la lutte n'a pas été menée par les syndicats. Et maintenant qu'une partie de la jeunesse se soulève, contre le plan Fillon mais aussi contre cette société, contre l'avenir qu'on leur offre, contre le capitalisme libéral, où sont les syndicats ? Où était Solidaires dans ce mouvement ? On parle d'interpro, mais où étaient SUD PTT, SUD Rail, SUD Culture quand les lycéens se sont fait matraquer ? Ils faisaient quoi, nos permanents ? Alors qu'on avait notre " SUD Flics " : SUD Intérieur, surtout composé de RG, à l'avant-poste du flicage des lycéens… Alors les " luttes citoyennes ", ça veut dire quoi ? Quand les lycées apportent une réponse par la lutte à cette Europe tant dénoncée, qui les soutient autrement qu'en mettant sa signature en bas d'un tract ?… Les lycéens ont lancé un train, ils ont lutté pendant trois mois, et personne n'a pris ce train-là. Alors c'est quoi, le travail " citoyen " si l'on n'est pas avec ceux qui luttent, avec les lycéens, avec les sans-papiers qui remettent en question cette Europe forteresse ? Bref, à quoi servent les syndicats ? SUD n'incite plus à la radicalité. Et l'on ne fait plus que reculer.

Quel rôle dans le mouvement de 2003 ?
Henri : En 2003, à Paris tout au moins, on a moins vu les Solidaires dans les manifs et dans l'organisation des grèves, alors qu'ils représentent aujourd'hui 80 000 adhérents contre 30 ou 40 000 en 1995. C'est pas le nombre qui fait la force d'un mouvement. Pour SUD Rail, c'est peut-être un peu différent, l'idée de grève générale reconductible a été défendue pendant plusieurs mois, mais si on prend les Solidaires dans leur ensemble, le bilan est assez négatif. Même s'ils n'ont cessé de parler de grève générale, ce qui prévalait c'était un besoin d'être reconnus et de défiler avec les grandes organisations syndicales.
Chantal : À la BNF, on a fait une grève d'un mois, que SUD Culture a soutenue officiellement sans s'engager lui-même dans le mouvement. Cette grève était porteuse pour ceux qui la vivaient, parce qu'elle était raccordée à un mouvement national, ce qui n'était pas rien. Une véritable interprofessionnelle s'est mise en place, où il y avait des cheminots de SUD Rail, des profs de SUD Éduc (c'était pas facile avec les profs, plus facile en revanche avec les cheminots), des salariés de la Pitié-Salpêtrière, des jeunes de Fock's, mais tout cela c'est fait grâce à la CNT, et non à SUD Culture, qui n'a rien fait pour. Je suis sortie de cette grève désespérée, car, même si SUD n'avait pas appelé à la démobilisation, il n'a offert aucun soutien, aucun relais… Ils n'ont même pas tenté de négocier le retrait des jours de grève, ce qui fait qu'on a perdu un mois entier de salaire. Et tout cela n'a pas empêché qu'à la fin on serve d'alibi à SUD Culture pour prouver son engagement…
Janos : Les actions interpro, réjouissantes, joyeuses, dynamiques, qui ont été faites dans les Hauts-de-Seine (on a occupé les gares, les voies ferrées, bloqué des métros…) en 2003 l'ont été à l'initiative de militants, SUD, CGT, CNT, FSU ou non syndiqués. Mais du côté des Solidaires, alors que c'était le moment de sentir la force de l'interpro qu'ils représentaient, on a eu une mobilisation très inégale, parfois les Solidaires bougeaient, parfois pas. Par exemple, quand on est allés à la gare Saint-Lazare, c'est la CGT qui nous a invités, par l'intermédiaire de militants LO, alors que SUD y est très implanté. Solidaires n'a pas fonctionné dans cette grève. Et encore moins pendant le mouvement de lycéens de cette année.

Du renoncement à l'institutionnalisation
Chantal : Ce qui devient dangereux dans les établissements de la Culture aujourd'hui, c'est de parler de ce qui s'y passe. Prenons l'exemple de l'intranet de la BNF : ce qui est subversif aujourd'hui, ce n'est pas d'y prendre position sur la Constitution européenne, ni d'y défendre les luttes des sans-papiers - là-dessus, aucun problème ! - mais bien plutôt d'y parler de la télésurveillance qui se met en place, de la traçabilité des agents qui s'instaure à travers la " charte Marianne " : ça, ça vous expose à des représailles. Il y a trois, quatre ans, si j'avais parlé de ces questions, ç'aurait été considéré comme relevant de la banale défense catégorielle, mais aujourd'hui on me le fait payer. La " charte Marianne " qu'a mise en place le ministère de la Culture permet de contrôler les salariés dans toutes leurs activités, d'individualiser les systèmes de notation, et, à en juger les réactions que mes messages ont suscitées, ce système fait naître de sérieuses inquiétudes chez les salariés (90 % d'entre eux sont contre). Or, quand j'ai alerté SUD Culture de ce qui se préparait autour de cette charte et de la pression que vivait le personnel de la BNF, je n'ai eu aucune réaction. Pas étonnant puisque, comme toutes les organisations syndicales, ils semblent avoir avalisé cette charte en haut lieu, à en juger ce qui est dit sur le site du ministère. Mais la section SUD BNF elle-même n'a pas fait ne serait-ce qu'un tract, et quand je les ai interpellés ils m'ont répondu : il faut que d'autres syndicats s'associent pour obtenir une modification de la charte… (Quant à la CNT, elle a dit vouloir faire quelque chose, mais je n'ai toujours rien vu.) Rien à faire, on ne peut pas accepter que l'on vous octroie généreusement de grands bureaux et se sentir libre en même temps. Or SUD Culture a désormais des moyens énormes, comme les autres organisations syndicales.
Et puis, pendant que les militants SUD sont occupés à siéger dans le groupe des Dix, ils ne se soucient pas de relayer ce qui se passe dans chacune des sections. Le journal de SUD Culture n'est plus représentatif des luttes sur le terrain. Ils ont consacré beaucoup de temps à la Constitution européenne, mais le tract sur le sujet se fait toujours attendre dans les établissements… S'il était là, on pourrait peut-être faire le lien entre la Constitution et la charte Marianne, et organiser un débat, car les salariés ne sentiraient pas la question européenne comme déconnectée de leur quotidien professionnel.
Christian : Un des objectifs de la Poste et de France Telecom après la privatisation, c'est de faire qu'il y ait de moins en moins de fonctionnaires titulaires, de façon à fragiliser les salariés, à les précariser. Et là aussi l'aspect sécuritaire se renforce. (Dans l'immense centre de tri mis sur pied vers Melun-Sénart, les gars sont surveillés par des caméras, ils portent un badge, ils peuvent même pas se balader librement.) Donc les grandes grèves ont échoué, les centres de tri ont été cassés (du coup SUD est obligé de se rabattre sur les facteurs, mais là aussi il y a beaucoup de non-titulaires) et la privatisation rampante est largement engagée à la Poste. Les organisations syndicales se rendent bien compte du rapport de forces, alors ils essaient de limiter la casse, mais fondamentalement les carottes sont cuites, c'est triste à dire… Mais bien entendu, il faut résister.
Henri : À la SNCF on n'est pas très loin de ce qu'ont vécu les Telecom. Depuis l'échec de la grève de 2003 sur les retraites, il y a une accélération des restructurations, et, face à cela, on observe un recul global chez SUD Rail. On a beau progresser électoralement (on est la deuxième organisation syndicale, avec 15 à 16 % des voix, voire plus avec les adhésions récentes), sur les luttes on régresse. Il semble bien loin, le temps de 2001 où SUD Rail avait lancé une grève pratiquement tout seul - grève qui n'a pas vraiment été un échec d'ailleurs, puisqu'elle a fait reculer la SNCF de plusieurs années sur la " gestion par activités ". Quand l'unité syndicale n'est pas possible, il faut être capable de lancer un mouvement tout seuls en trouvant d'autres moyens. Or aujourd'hui, s'il n'est pas possible de lancer un mouvement avec l'ensemble ou la grande majorité des autres syndicats, SUD Rail ne bouge pas. C'est vrai qu'il est le seul syndicat à ne pas avoir avalisé l'accord sur le " dialogue social ", mais je ne crois pas que la grève du 2 juin, annoncée comme reconductible, va déboucher sur grand-chose.
Janos : Le dernier congrès de Solidaires, en décembre 2004, c'était clairement un congrès d'intégration. SUD Éducation y a proposé plusieurs amendements qui ont été rejetés. L'un proposait d'inscrire l'objectif de l'abolition du salariat dans les statuts : rejeté. Dans un autre il était dit que le syndicat doit se soumettre à la volonté des grévistes avant d'engager des négociations avec les patrons : rejeté, sous prétexte que les salariés peuvent aussi être racistes, réactionnaires… Le dernier définissait l'État comme étant au service du patronat : rejeté, au nom du fait que l'État c'est aussi les services publics, qu'il aurait donc, prétendument, une " double nature " !… Enfin, on a proposé un petit texte disant qu'on ne voulait pas de flics syndiqués dans Solidaires, que la présence d'un syndicat de flics dans nos rangs nous lie à l'État, et on a été hués… En revanche, quand les flics de SUD Intérieur sont montés à la tribune, ils ont été applaudis pendant dix minutes (" on va démocratiser la police ", paraît-il…). Dans ce congrès de Solidaires, il y avait un petit groupe qui dirigeait tout, qui empêchait de faire passer les choses. On ne sentait qu'une volonté d'être reconnus. Aschieri, de la FSU, par exemple, a été courtisé, alors qu'il y a un syndicat de l'Éducation (SUD Éducation) dans Solidaires avec lequel la FSU refuse de discuter au niveau national. Solidaires a été admis dans la gestion de la Bourse du travail, mais quand les sans-papiers en grève de la faim se sont réfugiés dans les locaux de la rue de Turbigo, SUD n'a pas menacé de claquer la porte pour défendre leur droit d'être là.
Il y a maintenant une commission contre la répression syndicale dans Solidaires, et les RG y participent en tant que syndiqués SUD… alors que le prof qui risque maintenant la radiation en raison de sa participation au mouvement lycéen a été dénoncé par les RG ! C'est vrai que, suite aux problèmes de répression des lycéens, il y a une résolution de SUD Éducation qui vient de passer disant que, si les flics restent dans la commission " répression antisyndicale " des Solidaires, SUD Éducation quittera la commission.
Christian : À mon avis, il y a eu une première phase innovatrice dans SUD, à ses débuts. Une période d'avancées, sur le plan du droit notamment, une période d'enthousiasme, d'initiatives, où ses militants voulaient faire un syndicalisme différent. Mais elle a atteint ses limites avec la grève de 1995. Les acquis culturels et politiques de SUD ne se sont pas traduits alors dans la grève, ses militants ne se sont pas opposés centralement aux directions des autres syndicats, ils ont été très en retrait sur la nécessité de comités de grève. Alors, constatant qu'ils avaient engrangé de beaux succès en termes de visibilité nationale mais qu'ils ne pouvaient pas aller plus loin, ils ont délibérément décidé de se stabiliser. En faisant le choix d'une démarche interprofessionnelle, mais sans se constituer en fédération, pour ne pas apparaître comme concurrent des autres confédérations. Et en adoptant une tactique de négociation et de diplomatie à l'égard des autres organisations syndicales liées au PC et au PS. Ce qui correspond tout à fait à la démarche des militants politiques d'extrême gauche (dont beaucoup étaient membres des SUD) à cette même période. 1995 leur a servi de test : ils n'ont pas été armés politiquement ou n'ont pas eu la volonté (les deux sont sans doute liés) de favoriser l'auto-organisation des travailleurs avec un projet politique alternatif aux dirigeants de la gauche. À ce moment-là, ils ont totalement pris conscience de leurs limites, et ils ont décidé de limiter la casse et de rentrer dans le cadre établi. C'est comme ça que je comprends les choses. Pour eux, il s'agit de gérer les luttes et les syndicats, et non pas de les animer.

La vie du syndicaliste SUD
Chantal : En fait, aujourd'hui les salariés se sentent moins proches de SUD Culture. Mais ce que j'entends dans la bouche des militants SUD, c'est le même discours désespéré des autres syndicats : les gens ne se mobilisent pas. Et effectivement, depuis la dernière grève des vacataires, il y a tout au plus quinze personnes dans les assemblées générales… (sur les 1 700 salariés de la BNF). Mais lors de la dernière grève, SUD a bien assuré la logistique, mais ils n'ont pas mis les pieds dans l'établissement, alors que la grève a duré de façon larvée pendant deux mois. Et quand ils ont fini par intervenir, la grève se délitait, alors ils ont négocié un protocole de sortie de grève. Bref, SUD Culture a bien l'air d'être occupé à autre chose qu'à s'investir dans les luttes de terrain..
Christian : Au départ, les militants à l'origine de SUD étaient oppositionnels au sein des grandes confédérations, et leur culture politique était de déborder les directions syndicales, en s'appuyant sur les exigences de démocratie, les AG souveraines, etc. À présent ils font de la diplomatie syndicale avec les autres appareils. Donc, changement de style et de méthodes.
Et puis il y a un problème de renouvellement des cadres syndicaux. Dans les statuts de SUD PTT il avait été dit qu'un responsable syndical, à quelque niveau qu'il soit, ne pouvait pas faire plus de deux mandats. (Le problème s'est posé avec Annick Coupé : au congrès de SUD il a été demandé qu'exceptionnellement elle soit réélue une troisième fois comme représentante, et ça a été refusé, ce qui prouve qu'il reste quelque chose d'une ancienne culture.) Mais il devient difficile de trouver de nouveaux militants formés dans le même moule, les nouveaux n'ont pas le même passé ni la même orientation.
Les responsables syndicaux se disent à présent : pour montrer qu'on sert à quelque chose, négocions des choses minimales et dénonçons ce qui est inacceptable. Mais en fait ils n'ont plus le rapport de forces, car ils n'ont plus confiance ni en eux-mêmes ni en la capacité de mobilisation des travailleurs. Il n'y a qu'à voir les échecs des grèves générales ou des grèves nationales par secteurs. Sur la base de ces échecs, ils se disent : mieux vaut un syndicalisme qui limite la casse que rien du tout. Alors ils passent des accords boiteux avec l'administration, comme celui qui transforme un certain nombre de CDD en CDI, ce qui veut dire faire occuper des positions de titulaire par des CDI - ça entrave le retour des provinciaux mutés sur Paris et ça fait que d'autres non-titulaires vont être virés (le tableau national des mutations n'existe plus de fait.)
Maintenant qu'il n'y a plus de perspective collective, beaucoup d'agents viennent voir SUD pour résoudre leurs problèmes individuels.
Janos : Dans mon collège, il y a presque 10 % des salariés syndiqués à Sud Éducation, ce qui n'est pas mal. Mais qu'est-ce que ça recouvre ? Les gens choisissent leur syndicat en fonction du comportement qu'ils observent chez les militants, donc sur une base locale. Et il n'y a pas d'approche nationale qui puisse faire le lien entre les formes locales de syndicalisme radical et un projet global. Il n'y a pas de projet global. Aujourd'hui, dans les différentes luttes, on rencontre toujours les mêmes militants, qui agissent indépendamment de leur appartenance syndicale. Tout ça pose la question de l'utilité de la forme syndicale.
Christian : Pour proposer un tract, pour afficher un tract, pour organiser une prise de parole, pour déposer un préavis de grève, pour participer à une réunion avec un responsable d'un service, il faut avoir un statut d'élu. D'élu syndical et du personnel dans le privé, d'élu mandaté dans le public. Un simple salarié qui fait une prise de parole sur le temps de travail est automatiquement sujet à la répression. À présent, tout ce qui n'est pas juridiquement écrit est sujet à une attaque automatique. Donc, comme le fait d'avoir des responsabilités syndicales fait que l'on risque moins d'avoir des problèmes, même si le militant syndical vit son activité comme un moyen de se mettre au service des collègues, cela crée une différenciation. Tout cela est fait pour favoriser l'émergence de certains individus bénéficiant d'un statut à part. Du coup il y a une très grande défiance des salariés sur l'utilisation des mandats, par exemple.
Henri : Moi, j'ai toujours refusé d'être permanent syndical. Non pas que je trouve ça compromettant - je pense qu'à 90 % les permanents syndicaux sont sincères dans ce qu'ils font - mais je pense qu'il y a un fonctionnement qui s'est instauré qui fait qu'il est de plus en plus difficile de rester en osmose avec les simples salariés. On le voit à la SNCF comme dans les grandes entreprises : les patrons n'aiment pas que quelqu'un qui a des mandats syndicaux reste à la base. Ils préfèrent que la personne soit complètement permanente. Ils considèrent le rôle de partenaire social comme une fonction : celui qui l'occupe doit cesser d'être proche des salariés. Donc soit vous rentrez dans le rang en abandonnant tout mandat, soit vous ne faites que du syndicalisme.
À SUD Rail, au bout de six ans, on est tenu de retourner au boulot. Eh bien c'est souvent la direction qui s'y oppose. Je connais plusieurs cas où il a fallu demander une audience à la direction pour obtenir qu'un permanent puisse retrouver un poste. Et puis c'est parfois difficile de retrouver son poste, le boulot a changé, les collègues sont partis… il faut se réadapter complètement et c'est pas évident. Pour que le permanent retourne au boulot, il faut qu'il soit très, très motivé. Sans compter, bien sûr, que faire du boulot syndical c'est plus intéressant que de faire son boulot salarié. Tout ça explique pourquoi on a du mal à faire que les permanents ne le soient pas à vie.
Janos : À SUD Éducation, il n'y a pas de permanents à plus de 50 %, tout le monde est obligé de travailler au moins à mi-temps, ce qui est positif, mais ce n'est pas comme ça dans tous les SUD. Au dernier congrès de Solidaires, SUD Éducation a proposé un amendement proposant de limiter à neuf ans de suite (une paille !) la tâche de permanent… et pourtant ça a été rejeté. Je ne crois pas que ce soit une question de carriérisme, simplement les permanents se persuadent qu'ils sont indispensables, qu'ils servent mieux la lutte comme ça. Annick Coupé, elle travaillait aux Chèques postaux, alors, après avoir connu le passage à la télé deux fois par jour, c'est difficile de revenir au régime " bâtiment C, 3e étage ". C'est humain. Sauf que, en l'absence d'un projet syndical fort de rupture avec ce monde, ce problème ne peut pas trouver de solution. De plus, il y a une sorte de fraternité qui se crée entre syndicalistes de différentes chapelles qui fait qu'il est de plus en difficile pour les responsables de SUD d'assumer une position de rupture vis-à-vis des autres. L'histoire des sans-papiers l'a bien montré : en toute honnêteté ils ont pu se dire : pour le boulot que je fais, il est plus important de ne pas me fâcher avec la CGT qu'être bien avec les sans-papiers. Le projet de société, c'est ce qui permet d'avoir une boussole, de prendre position, de se dire : je reste avec le sel de la terre ou je choisis le pouvoir, même s'il s'agit d'un mini-pouvoir.
Christian : Quand on a été traités de coucous dans des congrès avec Edmond Maire, quand on s'est cartonnés avec les bureaucrates pendant des dizaines d'années, quand on a eu sans cesse des difficultés dans les réunions syndicales, le fait d'avoir enfin un outil à soi, ce n'est pas rien. Avec SUD, ils ont leur " joujou ", ils ont une légitimité, ils peuvent parler d'égal à égal dans les réunions où les patrons sont présents, ils sont reconnus. Et ensuite, dans leurs propres réunions politiques, ils peuvent raconter leurs exploits, ils sont quelqu'un, ils sont quelque chose… y compris aux yeux de leurs familles. En dix ans ils ont réussi ça, c'est pas mal ! La question de la légitimité, ça pèse, en tant que structure syndicale mais aussi en tant qu'individu ! Regardez ce que fait Aguiton : ils ont perdu la bataille de la privatisation des Telecom, mais il se balade dans le monde entier en tant que représentant de ci et de ça, il tisse sûrement des liens très intéressants avec des militants du monde entier… (et en attendant, aux Telecom, ils en prennent plein la gueule).

La question de la représentativité
Henri : On n'a pas parlé de la représentativité dans le privé. Le fait d'être un syndicat SUD prive d'emblée de la reconnaissance qu'ont les autres confédérations et oblige à une bataille juridique qui peut durer un ou deux ans. La représentativité, c'est une bataille qui mériterait peut-être d'être gagnée. Si SUD est majoritairement implanté dans le service public, c'est en grande partie à cause de cette limite. Sur Villeneuve-Saint-Georges, dans les entreprises de nettoyage des TGV, une trentaine de salariés se sont syndiqués à SUD, et maintenant l'affaire est en procès. Ce genre de démarches oblige à une grande dépense d'énergie, et souvent ça se termine par des licenciements. En revanche, avoir la représentativité, ça permet d'avoir des représentants élus, des droits syndicaux, des moyens, des locaux, et des salariés protégés. La CNT fait elle aussi des batailles en reconnaissance syndicale… Sans cette reconnaissance, pas moyen ne serait-ce que d'afficher un tract dans l'entreprise.
Janos : Au début de SUD Éducation, nous avons occupé le Conseil d'État et le ministère pour être reconnus. Mais la question de la représentativité est très complexe. Dans l'Éducation nationale, c'est le nombre de voix obtenues aux élections qui détermine le nombre d'heures de délégation syndicale octroyées. Pourtant, au nom de la représentativité, les grands syndicats ont un deal avec la direction sur les mutations : ils sont informés des mutations trois mois avant leur publication, ce qui leur permet d'entretenir une clientèle - en un mot, ils font de la cogestion. Aux PTT et à la SNCF, je suis sûr que c'est pareil. Les syndicats sont intégrés parce qu'ils participent à la gestion du personnel. SUD y compris. Dans notre académie, nous avons un délégué SUD certifié, qui participe aux commissions, reçoit les documents, etc. Jeu très bizarre, d'ailleurs, parce que, comme ça suppose un nombre incroyable de réunions donc un grand nombre d'heures syndicales, soit tu y vas et tu te fais bouffer ton temps, soit si tu n'y vas pas et tu n'as pas les infos, alors que les autres syndicats peuvent se prévaloir de les avoir, eux.
Henri : À SUD Rail, il y a une règle de démocratie qui impose que, chaque fois qu'un délégué participe à une réunion avec la direction, il doit en rendre compte au syndicat et à l'ensemble des cheminots. ça paraît bien sur le papier, mais avec la multiplication des réunions, si tu fais ça sérieusement (la préparation, qui suppose d'aller voir les salariés, le compte rendu, le tirage et la distribution du tract…), ton temps syndical y passe entièrement. Ainsi, au nom du principe de démocratie, tu te fais complètement bouffer. Au lieu de préparer des luttes, tu ne fais que de l'information.
Christian : S'il y a un domaine où la représentativité est un enjeu important, c'est celui de la participation aux conseils d'administration. Quand les syndicats arrivent à y avoir un représentant, ils sont censés avoir toutes les informations. À EDF ou aux Télécoms, c'est stratégique : ça donne les moyens de pouvoir dénoncer les liens avec les multinationales, le colonialisme, les affaires qui sont faites de façon scandaleuse, mais aussi la façon dont se positionnent les différents syndicats. Ce qui suppose un suivi, des capacités juridiques, des liens internationaux…
Henri : À la SNCF, c'est effectivement un enjeu important. En 1998, pour des questions de non-représentativité (malgré 130 procès), SUD Rail n'avait pas pu se présenter aux élections au conseil d'administration. À présent il a une élue qui y siège. Et qui, depuis, subit vraiment les pressions de la direction, car elle ne joue pas leur jeu : elle fait des comptes rendus minutieux et fait aussi part du vote des autres syndicats - et c'est là qu'on s'aperçoit qu'ils participent à la privatisation d'autres entreprises, par exemple... Du coup, tous les mois, Gallois dénonce le rôle de l'élue SUD Rail au CA, prétendant lui imposer la règle du devoir de réserve. Ce qui pourrait bien se terminer par son éviction.


Bref historique de l'union syndicale Solidaires
Le 10 décembre 1981, dix syndicats et fédérations autonomes (SGSOA [organisations agricoles], SNUI [impôts], FGAF [fonctionnaires], FADN [défense nationale], FGAAC [agents de conduite], FAT [transports], SNCTA [contrôleurs du trafic aérien], SNJ [journalistes], FASP [police], SUACCE [Caisses d'épargne]) - pour la plupart nés de la scission entre la CGT et CGT-FO de 1947-1948 - se réunissent pour jeter les bases d'une activité commune. Estimant que " le maintien des divisions syndicales ne pourrait que conduire à un affaiblissement global du syndicalisme et nuire aux revendications du monde du travail ", ils refusent de donner vie à une énième confédération. Le " groupe des dix " (G10) est né. Sa vie sera ponctuée par la sortie ou l'entrée de syndicats autonomes, sans que, dix ans durant, rien ne change de son fonctionnement ni de ses perspectives.
Les principaux syndicats SUD (postes, télécoms, hôpitaux/secteur social, transport ferroviaire) se constituent lorsque des groupes d'oppositionnels quittent la CFDT, entre 1989 (où les anciens " moutons noirs " de la CFDT des postes créent SUD PTT et ceux de la santé créent le CRC, devenu SUD Santé-social en 2000), et 1995-96, au lendemain des grèves de décembre 1995 (où la majorité CFDT des cheminots crée SUD Rail). Suivent, en 1996, SUD Education et SUD Etudiant, puis SUD Culture, ainsi que plusieurs autres SUD de secteurs divers et de taille plutôt réduite à l'échelle nationale, mais disposant parfois d'une forte implantation locale, due à la sortie de la CFDT d'une section importante, à un afflux de militants CGT ou à une lutte locale engendrant un mouvement de syndicalisation (40 à 50 % des adhérents SUD n'ont pas d'appartenance syndicale antérieure).
En décembre 1992, SUD PTT devient membre du G10, qui va évoluer : alors que les SUD s'investissent dans le lancement de la campagne " Agir ensemble contre le chômage " et les marches des chômeurs, l'ensemble du G10 prend quelque distance avec les attitudes corporatistes des origines et évolue graduellement vers un syndicalisme plus revendicatif, plus ouvert sur les problèmes de société, se présentant comme plus interprofessionnel et " solidaire ". Plusieurs syndicats quittent alors le regroupement, certains restant autonomes, d'autres rejoignant la nouvelle galaxie de l'UNSA.
En 1997, le G10 présente ses propres listes aux élections prud'homales, obtenant des résultats assez modestes. La même année, nouvelle participation aux marches européennes contre le chômage.
En février 1998, SUD Collectivités territoriales est admis au G10. C'est en s'introduisant par le biais de ce syndicat que SUD Intérieur fera l'économie d'un débat sur son adhésion au nouveau regroupement (précisons toutefois que le congrès de décembre 2004 plébiscitera sa participation). En juin de la même année, le G10 participe à l'assemblée constitutive d'ATTAC - et fait depuis partie de son collège des membres fondateurs. En novembre, SUD Rail est admis au G10. En 2002, le G10 appelle à faire barrage à Le Pen au second tour des élections présidentielles, participe aux forums sociaux de Porto Alegre puis de Florence, et aux manifestations contre la guerre en Irak. Ses scores aux élections prud'homales s'améliorent.
En 2003, il s'engage dans le mouvement des enseignants puis contre la " réforme " des retraites, appelle à la " grève générale interprofessionnelle " mais n'arrive pas à influer sur les positions des autres syndicats.
En 2004, alors que se prépare la " réforme " de la Sécu, il reste en attente d'une action syndicale unitaire, qui n'aura jamais lieu. Les nombreux collectifs locaux nés à cette occasion se borneront donc à une activité d'information et de " pression " sur les confédérations ayant pignon sur rue. Aucune initiative autonome en direction des salariés n'est prise.

Sources :
www.solidaires.org ; www.sud-ghh.com ; www.sudeduc18.ouvaton.org ; http://fr.wikipedia.org
" Syndicat SUD : voyage à l'intérieur du nouveau syndicalisme ", in " Courant alternatif ", octobre 2000, (www.ainfos.ca/00/nov/ainfos00015.html)

 

Dernière mise à jour le 10.06.2009