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France

Comités de soutien : du syndicalisme sans syndicat ?

Agnès, Evelyne, Guy, Helena, Jean, Jean-François

Les divers collectifs qui se sont créés à Paris ces dernières années pour aider des grévistes à gagner dans des secteurs particulièrement difficiles ont-ils fait une forme de syndicalisme radical, ou leurs pratiques se distinguent-elles au contraire fondamentalement de celles des syndicats d'aujourd'hui ? Six membres du " collectif de solidarité avec Faty et les salarié(e)s d'Arcade " échangent leurs points de vue sur la question.



Comités de apoyo : ¿ sindicalismo sin sindicatos ?
Los diferentes colectivos que se han ido creando en París estos años pasados para ayudar a los huelguistas a salir vencedores en unos sectores particularmente difíciles, ¿han estado experimentando una forma de sindicalismo radical o se distinguen fundamentalmente sus prácticas de la actividad de los sindicatos actuales? Seis miembros del "colectivo de solidaridad con Faty y los trabajadores de Arcade" intercambian sus puntos de vista al respecto.

Collettivi di solidarietà : un sindacalismo senza sindacato ?
I vari collettivi creati a Parigi in questi ultimi anni per aiutare degli scioperanti a vincere in settori particolarmente difficili hanno praticato una forma di sindacalismo radicale, o, al contrario, le loro attività sono radicalmente diverse da quelle dei sindacati odierni ? Sei membri del " collettivo di solidarietà con Faty Mayant e le dipendenti di Arcade " scambiano il loro punto di vista sulla questione.

>Support committees : unionism without a union ?
Various collectives have been set up in Paris in recent years to help strikers win battles in some particularly touchy sectors. Do they represent a form of radical syndicalism, or conversely, are their practices fundamentally different from those of today's trade unions ? Six members of the "collective for solidarity with Faty and the Arcade (hotel cleaning) workers" exchange their views on the question.




- Vous vous baptisez " collectif de solidarité ", " comité de soutien "... selon les circonstances. Mais, si l'on considère que ces collectifs sont toujours intervenus sur des conflits du travail, on peut se demander si la petite mouvance que vous constituez ne pratique pas simplement une forme de syndicalisme disons radical, pour donner une définition.


Evelyne : Nous faisons une forme de syndicalisme, mais très différent du syndicalisme classique : nous ne sommes pas tous syndiqués, nous intervenons parallèlement aux syndicats, et nous ne fonctionnons pas sur la base du mandat et des cotisations, mais d'un engagement personnel (qui peut être plus fluctuant mais qui est plus indépendant). Ce qui nous fédère, c'est un objectif commun précis : faire en sorte que la lutte que nous soutenons gagne. Nous privilégions l'action de terrain plutôt que l'action syndicale classique dans l'enceinte de l'entreprise et dans le cadre légal reconnu aux syndicats. Donc notre rôle est différent. Mais il est aussi complémentaire.
Jean-François : Tous les membres du collectif, syndiqués ou non-syndiqués, ont, dans les luttes qu'ils ont soutenues, fait le constat que les syndicats existants ne fournissaient pas la réponse qu'attendaient d'eux certains salariés, qu'ils laissaient un vide. Certains diraient : que les syndicats ne jouaient pas leur rôle. Quoi qu'on en pense, le fait est là : il a fallu trouver une autre réponse, se doter d'autres instruments. Les collectifs ont donc bien comblé un vide. Dans chaque grève qu'ils ont soutenue, leur présence a obligé le syndicat concerné à assumer une défense qu'il aurait eu plutôt tendance à laisser tomber. Il y a aussi un autre élément de différence : chaque fois que nous l'avons pu, nous avons essayé d'encourager l'entraide entre les grévistes des différentes boîtes, or c'est quelque chose que les syndicats ne font plus.
Guy : Ça me choque que l'on puisse dire que nous constituons une alternative au syndicalisme. Car chaque collectif s'est constitué autour d'un objectif précis : faire gagner une grève à un moment donné, sans s'inscrire dans la durée, ce qui est très différent de la pratique syndicale. Deuxio, l'action du collectif est le fait du volontarisme de quelques individus et non pas de salariés s'organisant pour leur propre défense. Rien à voir là non plus avec le syndicalisme qui se pratique aujourd'hui.
Jean-François : Je n'ai pas parlé d'alternative au syndicalisme, mais de vide comblé par l'action des collectifs. Dans ce que nous avons fait, je vois une forme de recherche de quelque chose qu'on ne peut trouver ni même chercher dans le cadre des syndicats. Les réponses exigées par le besoin qu'ont les salariés de se défendre, notamment dans des secteurs difficiles où les carences des syndicats sont particulièrement évidentes, il a fallu les chercher sur le terrain, pas sur un plan théorique. Quant au volontarisme, j'ai l'impression qu'il y en a dans toutes les démarches : les femmes de ménage qui se sont mises en grève faisaient preuve de volontarisme. Simplement, il y a des choses qu'elles ne pouvaient pas faire elles-mêmes, étant donné leurs problèmes de langue et leur mauvaise connaissance de la société française. À l'époque de la grève des Frog, on discutait beaucoup avec les clients devant les restaurants pour les convaincre de ne pas consommer, ce que les grévistes ne pouvaient pas faire parce qu'ils ne maîtrisaient pas le français, par exemple. En revanche ils ont toujours conservé la maîtrise de leur grève, nous n'avons jamais rien imposé, à la différence parfois des syndicats ou des avocats.
Evelyne : Je ne me retrouve pas non plus dans l'idée d'" alternative " au syndicalisme, car il y a eu dans plusieurs de ces collectifs des syndicalistes très impliqués ; le rôle des comités de soutien a plutôt été d'aider les grévistes à tenir bon malgré les tentatives de division.
Agnès : Notre logique n'est pas la même que celle des syndicats. Qu'il y ait eu des jonctions possibles entre eux et nous sur certaines luttes, que certains syndicats aient trouvé leur compte à certains moments dans le soutien qu'un collectif apportait à la grève qu'ils encadraient, c'est sans doute vrai. Mais les syndicats sont des structures qui cherchent à occuper une place, dans le champ institutionnel ou dans le champ social en général. Et souvent la lutte leur sert à s'afficher, leur sert de faire-valoir. Alors que les comités de soutien n'ont toujours existé que pour la lutte. D'ailleurs le type d'intervention militante qu'exige le soutien aux luttes dans les secteurs difficiles, les syndicats ne le font pas. Ils s'en tiennent à exploiter les heures de délégation et autres possibilités offertes par le système. La lutte n'est pas fondamentalement l'objectif du syndicalisme d'aujourd'hui ; elle s'intègre, quand elle existe, dans une stratégie plus large. Alors qu'elle est la seule raison d'exister des collectifs.
Helena : Je suis d'accord. Nous, nous n'avons rien à faire valoir, d'ailleurs nous n'avons pas d'identité collective ni même de nom bien définis. Personnellement, la perspective de lutter à l'intérieur d'un syndicat ne m'intéresse pas. L'action des collectifs n'est pas parallèle à celle des syndicats, elle emprunte des chemins différents. Et ce qui est intéressant, c'est qu'on n'a pas de structure rigide, on est malléable; on n'a pas non plus d'existence légale, ce qui nous permet une grande flexibilité dans les actions. Bref, ce qu'on fait est tellement alternatif au syndicalisme que ce n'est peut-être pas du syndicalisme du tout. Mais il peut y avoir un piège, malgré tout : que les syndicats se concentrent sur la lutte juridique en nous déléguant l'action de terrain, que s'instaure une espèce de division du travail. Ça s'est produit un peu sur Arcade, beaucoup sur Frog, par exemple.
Guy : Qu'on ne soit pas une alternative au syndicalisme, personnellement je le regrette. Car il y a banqueroute du syndicalisme, et cela depuis plusieurs décennies. Or l'on ne peut pas faire quelque chose d'alternatif sans avoir fait une sorte d'inventaire de ses fiascos. Si alternative il doit y avoir, il faut, puisque volontarisme il y a, que l'on dise ce qu'on a sous les yeux depuis des décennies et qu'on ne veut pas refaire. En outre, à ne pas réfléchir à ces questions autrement qu'occasionnellement, j'ai l'impression qu'on en arrive à des choses un peu schizo : on fait dans la lutte de terrain et on laisse au syndicalisme banquerouté la lutte juridique, par exemple. C'est une de nos faiblesses. Et il y en a une autre : alors que nous avons rencontré, notamment dans le conflit Arcade, des gens qui regardaient d'un très bon œil ce que nous faisions, que nous avons gagné un certain crédit, il y a majoritairement parmi nous la conviction qu'on ne peut pas engranger le bénéfice de ce crédit, qu'il n'y a pas lieu de chercher à le conserver. Ça aussi, ça nous différencie du syndicalisme, pour le meilleur et pour le pire.
Jean-François : Il faut réfléchir, oui, mais aux caractéristiques de fait de ces différents collectifs, pas sur la base de nos convictions personnelles. Notre diversité, nous l'avons vécue comme une source de richesse et pas de faiblesse, contrairement aux organisations syndicales, qui se voient avancer unies comme des phalanges. Nos différences de sensibilité, de réaction, contribuent à déconcerter nos ennemis, qui ne savent pas comment nous saisir. Et s'il faut réfléchir en perspective, c'est en fonction des objectifs que nous nous sommes fixés, pas dans l'abstrait. Décréter ce qu'il faudrait faire ou ne pas faire n'a pas grand sens en soi : personnellement je n'ai pas de recette, et de fait nous avançons par tâtonnements. Nous cherchons sur le terrain, autrement dit là où il n'y a pas de réponse satisfaisante fournie par les syndicats. Sur ce constat de carence des syndicats, au moins nous sommes d'accord, et si nous en donnons des explications différentes, c'est une richesse.
Deuxième point : sur la question du volontarisme. J'ai l'impression que ce que nous essayons de faire, c'est d'aider un petit nombre de salariés à se prendre en main quand ils en manifestent l'envie, ce que les syndicats ne font pas. Ça, oui, c'est un caractère original des collectifs : nous avons choisi de ne pas faire les choses à la place des salariés, mais d'apporter une aide sur le terrain, en montrant ce qui peut être fait y compris de l'extérieur d'une boîte.
Troisième point : d'une certaine façon, nous sommes un petit bout de société qui met son nez dans les affaires de l'entreprise. Les syndicats, eux, ne se posent pas, ou ne ne se posent plus, la question de savoir comment utiliser les forces présentes dans la société pour qu'elles pèsent dans l'affrontement entre salariés et patrons. Nous, si. Nous faisons des choses que les salariés, parce qu'ils sont soumis au chantage à l'emploi, ne peuvent pas faire. Je vois mal les salariés d'Arcade ou d'Accor mettre en cause leurs employeurs comme nous le faisons, avec la liberté d'action que nous avons, et avec la même radicalité dans les revendications - parce que nous posons à Accor un problème que la plupart des syndicats n'osent pas poser : nous nous attaquons au principe même de la sous-traitance.
Dernier point : notre logique diffère de celle des syndicats, mais pas seulement par le fait de ne pas faire d'affichage ou de prosélytisme : les syndicats cherchent à faire des adhésions, nous, nous jouons sur l'effet de contamination - ce que les anars appelaient autrefois la propagande par le fait. Nous montrons que, même avec nos toutes petites forces, nous pouvons faire quelques petites choses et les faire bien. Nous ne nous affichons pas en tant que boutique, mais nous nous inscrivons dans une dynamique, ce qui explique la persistance des collectifs dans le temps.
Evelyne : Je trouve que la forme d'action des comités de soutien va dans le sens de ce que recherchent de plus en plus les jeunes, qui veulent s'engager dans des actions qui ne leur paraissent pas manipulées par des organisations ou des syndicats. Nous allons dans le sens du besoin d'agir d'une partie des jeunes, qui sont attirés par ce caractère d'engagement volontaire sur une cause non partisane et qui leur paraît juste. On observe en effet une évolution des formes d'engagement en faveur d'actions à la base, sous la forme de collectifs, loin des logiques d'appareil.
Agnès : Tu dis : " une cause qui leur paraît juste ". Il y a là quelque chose qui nous différencie du syndicalisme tel qu'il existe aujourd'hui, qui consiste essentiellement en la défense des intérêts concrets des syndiqués. La dimension éthique est assez faible dans l'action syndicale, alors que ce qui nous fait marcher, c'est d'abord des convictions. Mais pas des convictions abstraites, des convictions qui s'alimentent aussi d'expériences humaines concrètes. L'échange direct avec les grévistes, le fait d'entrer un peu dans leur vie, les rapports de confiance qui se nouent, tout ça donne de la chair à la notion de solidarité, et pour nous c'est essentiel. D'ailleurs, je me demande si ce qu'on fait n'est pas une manifestation d'un phénomène qui est appelé à grandir. Tout est si verrouillé aujourd'hui, c'est si difficile de se battre frontalement contre son propre patron, que l'idée d'appeler à une solidarité plus large que celle des salariés directement concernés par l'enjeu du conflit risque de s'imposer peu à peu comme une nécessité, pour ceux qui ne veulent pas baisser les bras.
Guy : Je n'observe pas un afflux de jeunes dans ce qu'on fait. Et je ne vois pas que l'idée de solidarité fasse vraiment recette. Dans les actions où on est amenés à interpeller les clients pour obtenir leur soutien, on a parfois des réactions solidaires, mais le plus souvent on se heurte à un immense j'm'enfoutisme et quelquefois aussi à des réactions très hostiles.
Evelyne : Les jeunes qui se joignent à nous ne sont pas forcément nombreux, mais il y a une mouvance. Et de la part de la clientèle, on a aussi rencontré beaucoup de sympathie, des gens qui sont très sensibles à nos arguments parce que ça correspond à ce que eux ou leurs enfants vivent.
Jean-François : Dans le milieu militant, j'ai l'impression qu'on nous accuse d'une chose et de son contraire. Chez les militants du " mouvement social ", on est perçus comme pas assez radicaux. En effet, dans ces milieux, ce qui caractérise l'action " radicale ", c'est le fait de foutre le souk et de faire du bruit ; nous, on a toujours privilégié la pertinence dans le choix de nos actions. Faire du bruit a souvent un sens en soi, mais ce n'est pas notre paramètre de la radicalité. Notre paramètre, c'est la capacité à faire chier l'adversaire, même si ça doit être en faisant assaut de politesses, comme dans les hôtels Accor. Les milieux d'ultragauche, eux, nous taxent de " syndicalisme ", terme qui a chez eux une connotation vaguement méprisante ; mais ils ne comprennent pas que c'est notre existence même qui est une critique des syndicats. Ce que les syndicats comprennent très bien, eux, puisqu'ils ont tous vécu notre présence comme une petite pierre dans leur jardin (les syndicats radicaux nous ont perçus comme des concurrents, ce qui est d'autant plus cocasse qu'on était porteurs des mêmes valeurs !). Si on était vraiment des auxiliaires des syndicats, comme certains l'ont dit, on ne voit pas pourquoi il y a eu tellement de méfiance de leur part. En effet, ils nous ont le plus souvent considérés, à l'inverse, comme des fouteurs de merde incontrôlables. En même temps, il y a parfois eu des évolutions, comme dans le cas de la CGT du commerce, qui s'est montrée plus ouverte à notre égard sur les grèves de Ruc ou d'Astor que sur celles de McDo. D'un syndicat à l'autre il peut y avoir des différences, ce serait bête de notre part de ne pas le reconnaître.


- N'êtes-vous pas en train de devenir des spécialistes, malgré tout, un peu comme les syndicalistes de terrain le deviennent ne serait-ce qu'à force de prendre en charge eux-mêmes la défense de leurs collègues ? Et est-ce que ça ne crée pas une certaine distance entre vous et ceux que vous soutenez ?


Helena : Je ne me sens pas du tout spécialiste. Il est vrai que nous avons quelquefois été amenés à faire valoir notre " expérience ", notamment au moment des négociations finales, où nous avons expliqué que maintenir la pression au moment des négociations nous paraissait plutôt un atout qu'un risque. Pourtant on a toujours respecté le choix des grévistes, qui nous ont plus d'une fois demandé de nous abstenir. C'est vrai que l'on a parfois fait appel à nous en urgence sur un conflit, ce qui nous mettait un peu dans la position de ceux qui " savent faire ", mais je ne pense pas que le fait d'avoir une connaissance des conflits crée en soi une distance. Le but du collectif c'est la solidarité, l'entraide, donc le partage des connaissances acquises.
Jean : Sur le juridique, on s'en remet le plus souvent aux syndicats. C'est nous qui les traitons en spécialistes...
Jean-François : Ça dépend ce qu'on entend par spécialistes. Disons qu'on a accumulé un certain savoir-faire. On sait par exemple comment il faut s'y prendre avec les flics pour éviter qu'ils interviennent (certaines grèves ont été un véritable apprentissage de ce point de vue-là). Mais cela ne suffit pas à faire de nous des spécialistes. Disons qu'on est des gens qui ont appris à chercher collectivement des réponses pertinentes.
Evelyne : Chez les syndicalistes il y a effectivement des spécialistes, notamment sur les questions juridiques. Nous, ce qui nous caractérise, c'est plutôt notre polyvalence. Les réponses qu'on apporte sont différentes d'une grève à l'autre. On est plutôt des caisses de résonance, qui aident à faire d'un conflit du travail particulier un problème de société. Comme sur le dernier conflit avec Arcade-Accor, où, de la grève des femmes de chambre puis de la lutte pour la réintégration de Faty, on a fait une bataille contre la sous-traitance.
Agnès : C'est un fait qu'au fil du temps on a accumulé un peu d'expérience. Mais ce qui fait la différence entre le spécialiste syndical et nous, c'est que cette expérience on l'acquiert ensemble, on la mûrit ensemble, on la discute, et d'une lutte à l'autre on essaie de la transmettre. C'est un savoir qu'on diffuse, alors que le spécialiste syndical est un individu qui finit par s'imposer comme détenteur individuel d'un savoir spécifique. On n'est donc pas des spécialistes.


- N'avez-vous pas l'ambition de durer, de vous pérenniser, de mettre un jour sur pied une nouvelle organisation ? Et, à ce moment-là, est-ce que vous n'allez pas vous heurter aux mêmes contradictions que d'autres syndicats alternatifs, entre nécessité de consolider l'organisation et risque de bureaucratisation ?


Evelyne : Je ne crois pas du tout qu'on ait vocation à créer une structure pérenne. Ce qui nous caractérise c'est le caractère spontané de notre engagement. Et ça, c'est l'antipode de la création d'une structure permanente. Il y a bien une petite structure qui s'est constituée avec des membres du premier comité de soutien, Stop Précarité, mais pour l'instant elle se contente d'organiser des cours publics du droit du travail et des débats.
Guy : De fait, entre un collectif et l'autre, on existe depuis 2001. Ce n'est pas la pérennité mais ça commence à y ressembler... Derrière le mot " structure ", on peut mettre différentes choses, une structure ce n'est pas forcément un gros appareil. Et pérennité ne signifie pas forcément esprit de chapelle. La transformation d'une structure en une bureaucratie se fixant des buts étrangers aux salariés qu'elle est censée défendre, ça s'explique par d'autres facteurs, et connaître ces facteurs est une bonne manière d'essayer de se prémunir contre ça.
Helena : Il faut distinguer pérennité et structure consolidée. Si l'on créait une association, qu'est-ce que ça nous apporterait ? C'est plutôt les outils qu'il faut pérenniser, et apprendre aussi à mieux maîtriser collectivement. Comme le bulletin, l'entretien d'un fichier de contacts...
Jean-François : Jusqu'à maintenant, à chaque fin de lutte on a eu une petite discussion pour se demander s'il y avait lieu de pérenniser ce collectif, de le transformer en collectif permanent d'aide aux salariés. Mais ces collectifs de solidarité se sont toujours constitués à partir d'une lutte qui s'était déclarée. C'est pourquoi j'essaierais d'inverser la question : le fait de pérenniser le collectif nous aiderait-il à faire mieux ce qu'on fait déjà ? J'ai l'impression que non. Faire une association pérenne, ça nous amènerait à modifier la logique même de fonctionnement du collectif. Actuellement nous investissons toutes nos énergies dans le soutien à une lutte en cours, et nous n'avons pas à nous soucier de faire fonctionner notre association en dehors de l'activité de soutien. Alors qu'un syndicat doit se préoccuper d'encaisser ses cotisations, d'organiser des réunions régulières... indépendamment du contenu de ces réunions. La vie d'une section syndicale et celle d'un collectif de soutien, c'est très différent. Choisir de ne pas nous pérenniser, c'est donc choisir d'investir nos énergies de la façon la plus appropriée, de mon point de vue. Bien sûr, s'il y avait des collectifs qui commençaient à pousser comme des champignons en France et en Europe, il faudrait sans doute trouver le moyen de les coordonner, et un problème de structuration un peu plus sérieuse se poserait. C'est une hypothèse qu'on ne peut pas exclure a priori, mais nous avons, je crois, beaucoup plus misé sur un effet de " contamination " que sur un principe d'adhésion. Il y a là effectivement une différence de logique.
Guy : Pour moi, une structure ce n'est pas forcément des cartes et des cotisations. C'est un endroit où des gens peuvent trouver des ressources, des gens disponibles, des informations sur les conflits et des discussions sur la manière de régler tel ou tel problème pratique dans une lutte. Le fait que dans l'immédiat la question de la structuration ne se pose pas n'empêche pas que cette question soit ouverte depuis qu'il est évident que les structures anciennes (syndicats, partis...) ont fait banqueroute. Ces structures anciennes sont elles-mêmes le produit de conflits anciens. Il existe en effet à mes yeux une relation entre les principes et la forme de l'organisation. Les organisations anciennes sont la matérialisation de principes qui ont prévalu il y a longtemps. Elles ont failli parce que, dans leur patrimoine génétique, dans le fondement idéologique qui a présidé à leur création, il y avait quelque chose d'erroné. On est dans une situation où il y a à la fois faillite des anciennes structures et début de quelque chose de nouveau, qui pourrait commencer à être formalisé.
Agnès : Je me demande en t'écoutant si ce que tu aimerais, c'est que ces collectifs prennent explicitement position sur des problèmes de société, sur des questions plus larges que celles qui touchent simplement au soutien aux luttes, et à la limite servent de pôle susceptible d'attirer des forces nouvelles à travers l'expression d'un point de vue antagonique élaboré. Ce qui rejoint la question du besoin éventuel d'une forme de continuité entre une lutte et l'autre, question que certains qui ont la foi syndicaliste chevillée au corps nous reprochent de ne pas prendre en compte. Sauf que ce que proposent les " croyants " du syndicalisme, c'est une structure où tout doit être formalisé. Je suis frappée de voir combien certains copains syndicalistes radicaux consacrent de temps et d'énergie dans des batailles de motion avec la conviction que c'est essentiel, comme si c'était ça la substance de la lutte. Mais non, une structure affichant les positions les plus justes et les plus radicales n'est une garantie de rien en termes de lutte sur le terrain.
Guy : Avant d'être un lieu pour les batailles de conviction (qui peut avoir son utilité), la structure à construire devrait, de mon point de vue, être d'abord un lieu de ressources. Quelque chose qui permette de se défendre contre le patronat plus efficacement, et avec des pratiques plus satisfaisantes, que les vieilles structures où il y a un intérieur et un extérieur et beaucoup de patriotisme d'organisation. Dans l'idée de structure, il y a de la place pour autre chose que ça.
Jean-François : J'ai l'impression que se structurer n'implique pas la bureaucratie mais ne garantit pas non plus contre elle. La structuration n'est une garantie de rien. Des tas d'organisations qui se voulaient antibureaucratiques dans leur fonctionnement sont aujourd'hui des petites chapelles. D'ailleurs il peut y avoir des organisations bureaucratisées qui font des choses utiles, et des regroupements informels animés par un esprit de type bureaucratique. La garantie n'est pas dans les bonnes intentions inscrites dans les statuts, mais dans la pratique. Et la pratique est souvent liée au contexte : c'est ce qu'il est possible de faire à un moment donné.
Si l'on doit puiser dans l'histoire du mouvement ouvrier pour trouver des sources d'inspiration, plus qu'aux références canoniques des syndicalistes révolutionnaires ou anarcho-syndicalistes, il faut chercher, à mon avis, du côté de l'Espagne et de l'époque qui a précédé la constitution de la CNT, où les choses se sont mises en place par effet de contamination, où il y avait quantité de petites organisations locales qui faisaient des choses pertinentes, ce qui a labouré le terrain. Ou encore du côté des états-Unis du début du siècle avec les IWW, qui se percevaient comme une structure internationale et chez qui les permanents étaient essentiellement des agitateurs qu'on envoyait sur les grèves pour aider à organiser le soutien. Depuis la fin de la parenthèse des Trente Glorieuses, on se trouve dans une configuration qui me semble avoir beaucoup de similitudes avec celle du début du siècle, avec des conflits de classe assez durs et à l'initiative des patrons, qui ont le sentiment que le rapport de forces est en leur faveur. C'est donc plutôt dans l'expérience des organisations qui ont fait leurs preuves à cette époque-là qu'il faudrait puiser aujourd'hui.

 

Dernière mise à jour le 10.06.2009